Tout cela
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Description

« C'est un silence qui désespère la parole. Ou bien son silence est une sorte de machine de guerre, ou bien sa langue n'a pas de mots pour me parler, à moi. Peut-être s'agit-il d'un amour qui ne sait pas se dire. Peut-être s'agit-il simplement d'une sorte de paresse de son âme à dire l'indicible. » Affronter le silence des siens, refuser de fuir et de ne pas comprendre. Remuer le passé et lui faire face, à défaut de pouvoir interroger ceux qui en détiennent les clés. Essayer coûte que coûte de lever le voile, ne serait-ce que par bribes, pour donner un sens à Tout cela. En quête de réponses, l'auteur progresse dans la construction d'une vérité plausible en s'appuyant sur des recherches, mais aussi en formulant des hypothèses qui l'amènent aux confins de la fiction, avec les risques que cela comporte. C'est un véritable travail d'écriture, un récit qui marquera le lecteur par sa pudeur et sa sincérite désarmante

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 décembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342059397
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tout cela
Marie-Claire Mir
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Tout cela
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
«  Il n’y a que les liens du sang qui subsistent, mais ils ne se manifestent pas.  »
Franz Kafka
 
 
 
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet : http://marieclaire-mir.com
 
1. Des photos d’identité
On m’a volé tous mes papiers. Je ne sais pas qui est On, par définition indéfini. La personne, homme ou femme, qui a volé mon portefeuille va s’emparer de l’argent et jeter le reste à la poubelle, une benne broiera les documents, le cuir, l’argent, les photos, pêle-mêle.
Dans mon portefeuille il y avait deux photos, l’une de Manuel, l’autre de toi.
Des photos d’identité.
Les dernières qui restaient de vous à cet âge, l’âge auquel vous m’avez conçue, soit vingt ans pour toi et vingt-quatre ans pour lui.
Il ne reste donc, définitivement et indéfiniment, plus aucune image de vous à cet âge où vous êtes devenus mes parents, plus rien de tangible, rien que le souvenir de ces photos. Je n’ai même pas pris la précaution de les numériser. Ces portraits vont devenir de plus en plus imprécis dans ma mémoire et se confondre avec d’autres plus récents, jusqu’à ce que les plus récents effacent les plus anciens. Disparition des traces, toujours. Volatilisés, mes géniteurs, dans leur identité de parents potentiels, devenus dissous dans le vaste espace du passé. Je suis désormais née par l’opération du Saint Souvenir immatériel.
 
Je suis étonnée par la précision des portraits que les auteurs de mémoires font de leurs parents, voire de leurs grands-parents. Ils se souviennent des chignons et des tabliers, des gilets et des pipes, ils peuvent parler de la couleur des yeux, des sourires… Moi, je ne me souviens pas de toi lorsque j’étais enfant. Dans les quelques scènes que je parviens à reconstituer, tu as ton visage d’aujourd’hui. Parfois je regarde des photos, mais là, c’est autre chose, je me perds dans la rêverie de me demander comment tu as fait pour changer à ce point d’apparence. Non, si je ferme les yeux et que je cherche, ou si je te cherche dans ce sillage du stylo qui court sur la page, je ne te vois pas autrement que comme tu es maintenant, et je me perds dans la rêverie de me demander si tu as pu m’apparaître autrement que comme cette vieille femme à qui il ne reste que les yeux pour pleurer, de grands yeux étonnamment hostiles quand ils se posent sur moi.
 
Manuel est mort depuis longtemps. Il ne me reste de lui qu’une éphéméride, une sorte de rouleau métallique, fait de plus petits rouleaux enchevêtrés qu’il faut faire tourner, éphéméride que j’abandonne souvent, au point qu’il reste fixé sur mercredi alors que l’on est déjà dimanche, ou bien sur le mois de janvier alors qu’on est déjà en février, enfin bref, plusieurs jours ont passé sans que je tourne les rouleaux et que je prenne garde au passage du temps, j’oublie d’égrener les jours, je me perds dans le lointain de la mort de mon père.
 
En vous mariant, vous n’aviez pas juré de vous faire tout le bien possible, votre amour n’a pas été bienveillant. Non, il n’y a pas eu de bienveillance. À vrai dire, et sans comprendre pourquoi, je vous ai toujours connus méfiants l’un envers l’autre, comme deux gardiens sur le qui-vive qui se toisent pour guetter qui, de l’un ou de l’autre, commettra le premier une erreur. Le souvenir de votre mésentente se diffuse dans le souvenir de vous, comme une sorte de breuvage des morts, une eau amère à boire quoiqu’enivrante comme du vin, parce qu’elle me force à chercher le pourquoi du comment je suis venue sur terre.
 
Il me reste toi. Comment dire ? Tu restes. De vous deux c’est toi qui restes, tu es encore parmi moi, j’ai encore ma mère, tu es encore vivante, quoique destinée à rester couchée, à de rares exceptions près, dans ce que l’on appelle une maison de retraite médicalisée. En ce qui te concerne, aussi le temps m’échappe, et si je me retourne, je vois dans mon sillage un chemin qu’il me faudrait remonter, qu’il me faudrait avoir le courage de remonter, remonter le temps, raconter ton histoire pour comprendre ton mystère, l’insondable absence d’intérêt que tu as toujours manifesté pour le monde qui t’entoure.
2. J’ai deux mères
J’ai deux mères.
Une mère de quand j’étais enfant, petite – quand tu étais petite –, et une mère de maintenant, qui n’est pas tant ma mère qu’une personne dépendante que, c’est du moins ce que je crois, je dois réconforter en l’appelant de temps en temps, peut-être chaque jour, au téléphone.
De même que je n’avais pas les mots pour lui dire que je l’aimais quand j’étais enfant, quand j’étais petite, qu’elle me manquait, de même aujourd’hui je n’ai pas les mots pour lui dire que je l’aime et qu’elle va me manquer quand elle mourra.
3. La vie qui reste à vivre
Tu vas à un pique-nique. Organisé par la mairie.
 
— Oui. La mairie de La Plaine. Ils font ça tous les ans.
 
Aujourd’hui, tu ne seras pas seule à ne rien faire, à te demander pourquoi tu es là, contre toute attente, avec ce rab de vie qu’il y a encore quelques années tu n’aurais pu espérer. Il y a juste vingt ans, ta mère est morte de cette même détresse respiratoire qui a failli te coûter la vie à toi aussi, mais aujourd’hui on ramène les mourants de très loin, et toi, on t’a ranimée, il faudrait dire « réanimée » (de réanimation, ou « réa »), et tu es là, pour un bout de temps encore, tu vis, et aujourd’hui tu vas à un pique-nique, organisé par la mairie.
 
— Ce sont eux qui installent tout, les tables, les chaises, il faut voir ça.
 
Toi, tu y vas dans ton fauteuil, tu n’auras pas besoin de chaise, encore que, si c’est sur la pelouse, il faudra bien que tu te lèves et que tu marches jusqu’à une chaise, quelqu’un t’aidera.
 
— Ne t’inquiète pas.
 
C’est toi qui le dis, mais ton fauteuil ne roule pas bien sur la pelouse, et tu as mal aux bras, tu prends ta canne au cas où.
 
— Pourvu que mes jambes me portent, pourvu qu’il ne pleuve pas.
 
Tu dis que ce matin le ciel est gris, que l’air s’est rafraîchi, sur la mer là-bas tu ne vois pas les bateaux. Pourtant d’habitude c’est un vrai spectacle, les bateaux sur la mer, tu t’émerveilles de pouvoir les voir même si tu ne sais pas pourquoi tu les trouves si beaux, ce sont des croiseurs. Tu parles encore du Sampart , parce que ce fut le premier bateau sur lequel mon frère a embarqué, mais tu as oublié que Le Sampart n’existe plus depuis longtemps. Ils sont tous là, les croiseurs, penses-tu. Sur la mer, dans la rade, et parfois par temps clair, quand il y a du mistral, tu peux apercevoir les mouettes qui tournent autour. Aujourd’hui tu as autre chose à faire que regarder ce coin de mer en pensant à ce fils qui est mort depuis belle lurette maintenant, tu as un pique-nique. Il paraît que vous serez nombreux, il y aura vous, les pensionnaires de la résidence Marine, et il y aura aussi les nécessiteux, les gens dans le besoin en tous les cas. Les vieux et les pauvres, dont tu as oublié que tu fais partie, seront réunis pour ce pique-nique estival organisé par la mairie de La Plaine.
 
Aujourd’hui tu as la voix claire d’une jeune fille, et ton accent du Sud se laisse bien entendre. Au téléphone je peine à me représenter ton visage glacé, lorsque tu fixes sur moi ton œil d’experte à qui un rien suffit pour tout comprendre.
— Et puis je sais pas si je vais y aller, j’ai pas faim.
 
Il n’y a rien de plus important que la vie qui reste à vivre, tu devrais en être convaincue, et pourtant tu fais la difficile, tu ne manges pas, tu maigris, tu te languis, comme si tu avais la possibilité de te rattraper un jour, dans une autre vie peut-être. Mais sais-tu seulement que tu n’en as qu’une ? As-tu déjà réfléchi ? Tu te crois immortelle à faire la dégoûtée, tu rechignes à profiter, tu fais comme si tu avais autre chose à faire, tu rumines, tu te demandes comment tu as pu en arriver là, dans cette chambre. Tous les sujets mènent à cette déploration, cette chambre – pas une des plus belles de la résidence, tu parles –, spacieuse pourtant, et avec cette large baie vitrée qui donne sur la mer – et tous ces bateaux !
 
Tu vois bien que la vie est belle ! Mais, tout de même, c’est une chambre, pas un appartement, pas ton appartement ; certes, une chambre dans une maison de retraite, pour ainsi dire une cellule, pas vraiment une vraie pièce où l’on passe pour aller dans une autre, non – une cellule je te dis, un débarras –, pas même un cabinet parce qu’un cabinet c’est ce qui donne accès, et là, il n’y a pas d’accès, sinon au couloir, où, heureusement il y a la climatisation. Quand tu sors de ta chambre, tu es tout de suite dans le couloir et juste en face il y a la porte toujours ouverte de la petite vieille d’en face qui crie parce que personne ne vient lui enlever la merde du bassin.
 
—  Elle a cent deux ans, tu te rends compte !
Tu penses qu’il est impossible que tu en aies encore pour si longtemps, bien qu’au fond de toi-même tu te croies immortelle.
 
—  C’est pas Dieu possible ! Pourvu qu’à à la mairie de la Plaine, ce soit pas le même cuisinier qu’ici… Non, je te dis, c’est un cagibi, un cul-de-basse-fosse.
— Mais Maman, tu sais ce que c’est, un cul-de-basse-fosse ? C’est un cachot souterrain, une cellule dans un sous-sol.
— Oh, ça va ! C’est une façon de parler.
 
Il faudr

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