Petite femme montagne
178 pages
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Petite femme montagne , livre ebook

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Description

« Je tirais mon pouvoir des montagnes et j’ai choisi de vivre dans le désert. » Dans ce texte coup de poing, Terese Marie Mailhot, membre de la Première Nation de Seabird Island, en Colombie-Britannique, parle de son enfance sur la réserve, du lien qui l’unit à sa mère et à ses fils. De son père abuseur. De son mari et de leur amour impossible et nécessaire. De la haine de soi, aussi. Et, surtout, de l’incroyable capacité à renaître au monde. Considérée par la presse outre-Atlantique comme « l’une des œuvres canadiennes les plus importantes de notre siècle », Petite femme montagne est un hommage à la résistance, souvent silencieuse, des femmes autochtones aux violences qui leur sont faites.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 mai 2022
Nombre de lectures 4
EAN13 9782902039296
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Éditeur Amaury Levillayer, PhD
Réalisation éditoriale Joël Faucilhon — numérisation Marie-Laure Jouanno — réalisation des pages intérieures © Olivier Mazoué — création du cahier de couverture, illustration originale et logotypes
© Éditions Dépaysage, 2022
ISBN (papier) : 978-2-902039-28-9 ISBN (epub) : 978-2-902039-29-6
En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du code de la propriété intellectuelle du 1 er  juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.


Terese Marie Mailhot
PETITE FEMME MONTAGNE
Mémoires
-
Traduction par Annie Pronovost



Pour Karen Joyce Bobb (Wahzinak)


« Je veux que tu saches, si jamais tu lis ceci, qu’il fut un temps où j’aurais préféré t’avoir à mes côtés plutôt que n’importe lequel de ces mots ; j’aurais préféré t’avoir à mes côtés plutôt que tout le bleu du monde. » — Maggie Nelson


La condition autochtone
Mon histoire a été maltraitée. Les mots étaient trop tristes et trop révoltants pour être dits. J’ai essayé de raconter mon histoire à un homme, mais il a cru que c’était une arnaque. Il a cru que c’était de la solli­citation. Il m’a emmenée faire du lèche-vitrines avec sa pitié. J’ai été réduite au silence par la charité – comme trop d’Autochtones. J’ai gardé la main tendue. Mon histoire est devenue une arnaque.
Des femmes m’ont demandé quel était mon but. Je n’y avais pas réfléchi. J’avais pensé épouser un des hommes et me reposer sur mes lauriers, mais j’étais trop brillante pour me reposer. J’ai pris leur argent et je suis allée à l’école. J’avais faim et j’en ai pris encore plus. Quand j’ai été capable de raconter mon histoire, j’ai compris que j’avais trop donné aux hommes.
Notre problème à nous, femmes de la rivière, c’est que notre courant est incessant. Parfois nous nous échappons à nous-mêmes. J’ai cessé de répondre aux questions des hommes ou à leurs appels.
Des femmes ont voulu savoir mon histoire.
Ma grand-mère m’a parlé de Jésus. On se mettait à genoux pour prier. Elle me disait de fermer les yeux. C’était la seule chose qu’elle me demandait de faire correctement. Elle avait la foi, mais elle m’enseignait aussi à être insouciante. On commençait une recette et on perdait le fil. On oubliait des ingrédients. Nos gâteaux ne levaient jamais. On avait commencé une poupée à tête de pomme séchée – la tête sculptée, ratatinée, reposait encore sur une tablette des années après son départ.
Lorsqu’elle est morte, personne n’a fait attention à moi. Les filles autochtones peu­vent être tellement oubliées qu’elles s’oublient elles-mêmes.
Ma mère ramenait des guérisseurs à la maison et je pensais qu’elle tentait de m’exorciser – moi, le petit fantôme. Des voyants sont venus. Notre maison restait brisée. J’ai commencé à mettre en forme des idées. Je m’enveloppais dans une couverture Pendleton et je cueillais des bleuets. Je faisais semblant d’être une ancienne. Un guérisseur m’a remarquée. Il était grand et portait des jeans sales.
Il s’est mis à genoux. J’ai cru que j’aurais des ennuis, alors je lui ai dit que j’avais été gentille. Il a dit :
— Tu n’as pas besoin d’être gentille.
D’après ma mère, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à lui causer des ennuis.
C’est à ce moment-là que mes cauchemars ont commencé. J’étais hantée par une roue qui tourne, une dent en porcelaine blanche, la foudre et une bête qui montre les crocs. Ma mère m’a dit que c’étaient des visions.
— Mets ta chemise de nuit à l’envers pour égarer les fantômes, m’a-t-elle conseillé, avant de m’envoyer au lit.
Ma mère insistait pour que j’assume mon don. À mon premier jour d’école, j’ai relié moi-même un petit livre. L’institutrice m’a complimentée pour mon vocabulaire, et ma mère m’a dit que l’école était un choix .
Elle me faisait manger des mets traditionnels. Je me couchais tôt tous les soirs, mais je ne dormais jamais bien. J’ai attrapé la tuberculose. Maman a fait revenir les gué­risseurs. Je leur ai dit que ma grand-mère me parlait.
Zohar, une mystique blanche, une liseuse de tarot, m’a révélé qu’elle aussi parlait aux esprits.
— Ta grand-mère dit que tu lui manques, a-t-elle déclaré.
— On n’arrivait jamais à faire un gâteau, ai-je répondu.
— C’est justement ce qu’elle était en train de me dire. Quel ingrédient aviez-vous tendance à oublier ?
Je savais que c’était un test, mais un test étrange, parce que Zohar n’avait pas parlé à ma grand-mère. Je me souviens que ma mère nous observait en retenant son souffle.
— Les œufs, ai-je dit.
Ma fraude spirituelle a éloigné de moi l’esprit de ma grand-mère. C’est devenu plus difficile de me supporter moi-même, et plus difficile de manger.
— Est-ce que ça vous arrive aussi ? ai-je demandé.
— Quoi ? a fait Zohar.
— Avez-vous déjà voulu arrêter de manger ?
— Non.
Zohar a demandé à ma mère la permission de dormir par terre à côté de mon lit. Elle m’a écoutée toute la nuit. L’art de la narration. Le potentiel qui vient du fait d’être affreuse. Mon insouciance devenue talent. Je ne me sentais pas obligée de raconter des histoires avec une morale ni des contes anciens. J’ai appris comment l’histoire aurait toujours dû être, pour les femmes autochtones : intuitive, nécessaire et hardie, comme tous les bons mensonges.
Mon histoire a été maltraitée. J’étais adolescente quand je me suis mariée. Je voulais une maison sûre. Le désespoir n’est pas un canal pour l’amour. Nous nous sommes détruits l’un l’autre, et puis ma mère est morte. J’ai dû quitter la réserve. Obtenir mon diplôme d’études secondaires. Je suis partie parce que l’aide sociale m’a poussée à choisir entre plusieurs besoins. J’ai utilisé un chèque et mes épargnes pour acheter un billet d’avion – et je savais qu’à l’arrivée, je serais en déficit. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à raconter mon histoire et à ce moment exact que c’est devenu une façon de survivre. La triste vérité, c’est que j’ai perdu mon fils Isadore au tribunal. La Convention de La Haye. L’horreur de cette vérité, c’est que j’ai donné naissance à mon deuxième fils pendant que je perdais le premier. La date de ma comparution au tribunal et celle de mon accouchement concordaient. À l’hôpital, ils m’ont expliqué que mon premier garçon irait avec son père.
— Et celui-ci ? ai-je demandé, Isaiah dans mes bras.
— Il ne semble pas encore les intéresser, a répondu mon avocate.
Je suis sortie de l’hôpital avec Isaiah et je suis rentrée à la maison pour faire les bagages d’Isadore. Mon ex-mari, Vito, est venu le chercher avec une escorte policière. Avant leur départ, j’ai demandé à Vito s’il voulait prendre son nouveau bébé dans ses bras. J’ignore pourquoi je l’ai proposé, mais il ne l’a pas embrassé et ne lui a pas dit au revoir. Il n’a pas dit qu’il était désolé ni que c’était malheureux. Qui peut bien vouloir un garçon et pas l’autre ?
C’est trop triste de raconter cette histoire. J’ai l’air de mendier. Pourquoi le malheur me suit-il si bien, et pourquoi je le choisis chaque fois ?
J’ai appris à faire du miel avec les phrases terribles. Mais ma voix se fissure encore.
J’ai pris mon bébé et j’ai quitté la réserve. Je suis descendue de la montagne dans une plaine brune et infinie pour enterrer mon chagrin. Je suis partie parce que j’avais faim.
Dans mon premier atelier d’écriture, mon professeur m’a dit que la condition humaine, c’est la misère. Je suis une rivière élargie par la misère, et la force de mon langage est surhumaine. C’est un trait de la condition autochtone d’être fière de survivre mais d’hésiter à appeler cela la résilience. La résilience semble associée au conditionnement humain chez les Blancs.
La condition autochtone, c’est ma grand-mère. Elle était éducatrice de garderie. On raconte qu’elle emmenait des enfants dans notre cuisine, leur donnait des laxatifs puis étalait des journaux sur le sol. Elle s’accroupissait devant eux et faisait des grimaces pour leur montrer comment ils devaient pousser fort. Elle vermifugeait les enfants ainsi, elle avait appris cela au pensionnat – où les parasites, les sœurs et les prêtres ont contaminé des générations entières de notre peuple. Les Autochtones sont morts de froid en essayant de s’enfuir, et plusieurs sont aussi morts de faim. Les sœurs et les prêtres ont fini par manquer de place pour enterrer les ossements, alors ils nous ont mis dans les murs de nouveaux pensionnats.
Je peux voir le visage de grand-maman devant ces enfants. Ses mains étaient soyeuses comme des pétales de rose, ses yeux, doux et ronds comme des boutons. Elle aimait les œillets et le lait en conserve. Elle avait un grand cœur pour nous, les jeunes. Elle transcendait la résilience et concrétisait ce qu’on n’enseignait pas aux Autochtones : nous sommes inébranlables. Le temps semble se mesurer au chagrin présent et au chagrin anticipé, mais je crois qu’elle ne mesurait même pas le temps.



Fraises des champs
Tu bandais pour mes talents oratoires. Certaines de mes histoires étaient inventées. J’avais de l’autorité – une chose que les gens comme toi n’avaient jamais vue. Cela me vient de mon éducation traditionnelle et du fait que j’estime mon travail plus sacré que des générations d’efforts ou d’études. C’est un axe continu dont l’immense portée prouve qu’il est venu d’un lieu inhumain. Le récit est inhumain et plus grand que moi, et je ne suis pas certaine que tu l’aies reconnu. Tu savais être excité à proximité de mon pouvoir.
Tout a commencé sur une petite banquette à l’Auberge du Village. Je n’avais pas dormi la nuit précédente. Tu étais mon professeur et nous parlions de mon texte de fiction. Mon travail à l’éta

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