L Affaire Saliéri
125 pages
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L'Affaire Saliéri , livre ebook

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Description

1825 : Le compositeur Salieri vient de mourir. La jeune cantatrice Teresa Babbucci, qui fut son élève, suit le cortège funèbre. Pendant l’enterrement, une conversation surprise entre deux hommes déclenche sa colère : encore ce ragot, cette rumeur ! Salieri serait l’assassin de Mozart... Impossible !


Après l’hommage rendu au compositeur, Teresa reçoit une visite inattendue : celle de Franz Schubert, son ancien condisciple, qu’elle n’a pas revu depuis plusieurs années. Lui aussi a entendu les propos des deux hommes, qui l’ont bouleversé. Ce qu’il propose à la jeune femme est encore plus inattendu : faire toute la vérité sur l’affaire, laver le nom de leur vieux maître des soupçons qui pèsent sur lui...


Teresa accepte, sans se douter qu’elle vient de mettre le doigt dans un engrenage qui la conduira au cœur d’un incroyable complot remontant à la fin de l’Empire et aux intrigues du Congrès de Vienne... ainsi que sur les traces de son propre passé, de son premier amour, qu’elle croyait à tout jamais perdu.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 avril 2023
Nombre de lectures 27
EAN13 9782384830459
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'Affaire Salieri
Christine Féret-Fleury
 
 
 
Pour Alain Germain,
ce voyage commencé avec Le Rouge & le Noir ,
en amitié.
 
 
Songe à ce que serait pour ton ouïe
Toi qui es à l’écoute de la nuit
Une très lente neige de cristal
Philippe Jaccottet
 
OUVERTURE Con brio
26 décembre 1825
Au bout de l’allée, le palais dressait sa grande face ténébreuse, ses fenêtres condamnées pareilles à des yeux morts. Pourtant, un peu de lumière filtrait par un soupirail et jetait, sur les pavés de la cour, un trait mince comme une flèche. Les jardins dormaient encore sous la neige.
Teresa pressa le pas : elle retrouvait la nuit, son domaine, et s’y mouvait à l’aise, filant droit sur le gravier qui crissait, évitant d’instinct les bordures de buis encapuchonnées de blanc, les socles des statues dissimulées sous les branches. Ses fragiles souliers de satin étaient trempés, le froid montait le long de ses jambes, mais elle n’en sentait pas la morsure ; l’ourlet de sa jupe, dans son sillage, effaçait ses traces. Un promeneur matinal se serait peut-être penché sur ces vagues légères, cherchant à deviner quel oiseau avait, sur une si longue distance, caressé de ses ailes la terre plongée dans son sommeil hivernal. Puis il aurait levé les yeux sur le palais fermé et soupiré, songeant à un passé glorieux et aux caprices de la Fortune ; puis, sans doute, passé son chemin au plus vite. Certains lieux suaient le malheur, y être vu équivalait à une trahison. Et Vienne, en ce mois de décembre 1825, offrait tant de plaisirs ! On patinait sur le Danube, sur le canal de Neustadt ; les cafés étaient pleins et les baladins, bravant le froid, installaient aux abords du Prater leurs castelets, leurs ours savants et leurs chiens dressés à épeler le nom des badauds éblouis. On avait laissé partir à regret les Eskimos ramenés par le capitaine Hadlock de ses explorations nordiques, un divertissement qui avait duré tout l’été ; pour les voir, on avait couru au Belvédère, applaudissant lorsque l’un d’eux, ayant blessé une oie d’un trait de javelot, l’achevait d’un coup de dent, faisant jaillir un filet de sang noir. On se pressait au billard musical, chez Sperl où un jeune chef en vogue, Johann Strauss, entraînait des centaines de couples dans le grand tourbillon de la valse, au Josefstadt où Rossini triomphait dans chacune de ses œuvres. On applaudissait, en famille, Le Lac enchanté de Jean-Chrétien Remde, une féerie musicale à machines et transformations.
Oui, la vie était douce dans la capitale des Habsbourg, la chère abondante et bon marché, les fêtes nombreuses, la religion aimable. On pouvait bien, pour la satisfaction de tous, fermer les yeux sur la ruine ou l’exil de quelques-uns.
 
Mais pour l’heure, la ville se taisait. Quand Teresa posa le pied sur la première marche du perron, une aiguille de glace se détacha de la balustrade et se ficha juste devant elle. La jeune femme n’y prêta pas attention et continua sa course, sans souci du verglas ni de l’âpreté de la bise. D’un geste machinal, elle froissait, dans son manchon, le billet qu’un messager lui avait remis à l’Opéra. Les instructions, qu’elle avait dû déchiffrer en s’aidant d’une loupe, étaient claires : on l’attendait, seule, deux heures après minuit. Des scellés condamnaient la grande porte, mais à quelques pas elle trouverait ouverte une entrée de service, par où elle pourrait s’introduire dans le palais.
« Après ? Après… peu importe. Que je vive, que je meure… Cela n’a plus d’importance… pourvu que je lui parle, que je la voie… Une fois, une seule fois ! »
Teresa avait atteint la muraille, qu’elle effleura de la main après avoir ôté son gant. La pierre était glacée, coupée de saillies rectilignes et de motifs sculptés, lourdes guirlandes relevées par des médaillons, chimères modelées en schiacciato . Elle trouva sans peine l’accès annoncé, poussa le battant qui tourna sans gémir. Les gonds avaient été huilés, constata-t-elle. Pour cette nuit seulement, cette rencontre ? Ou bien l’immense demeure inoccupée servait-elle parfois d’abri à ceux – et ils étaient nombreux – qui désiraient tisser leurs intrigues en toute discrétion, loin des antichambres du pouvoir ?
Un corridor obscur la mena à une autre issue. La porte, cette fois, était entrebâillée, une vague lueur dessinait les contours du chambranle. Teresa entra dans un hall traversé de courants d’air ; le vent s’insinuait par les vitres brisées, entre les volets mal clos, imprimant un frisson aux flammes d’un chandelier à trois branches posé sur une console. Au-delà se devinaient l’imposante volée d’un escalier, les arabesques d’une rampe de fer ouvragé. Fixé au mur, un trumeau où la poussière, dans la clarté vacillante, se veloutait. Marchant vers ce scintillement peuplé de reflets, la jeune femme vit surgir une silhouette drapée de noir. Elle ne put réprimer un sursaut, se morigéna, sans indulgence : jusqu’où l’avait-on poussée, quelle habitude de la méfiance et du secret avait-elle acquise pour que sa propre image la surprenne ainsi ? Par bravade, elle prit le chandelier et l’éleva à la hauteur de sa tempe, ouvrant du même geste sa mante dont le capuchon glissa. Elle s’était changée après la représentation, passant, sans l’aide de son habilleuse, une robe gris foncé ornée d’applications de velours ; ses épaules, sa gorge en paraissaient plus blanches sous la poudre. Un long repentir de cheveux bruns cachait à demi son œil aveugle. Seule la fixité de sa pupille en révélait l’infirmité, mais Teresa haïssait ce noyau de nuit si bien ancré en elle, aussi invoquait-elle la coquetterie pour déguiser son dégoût, et peut-être un effroi inavoué. L’autre œil, noir et largement ouvert, brillait – de fièvre ? ou de larmes contenues ? – ; la bouche, mal essuyée du fard de scène, jetait dans ce visage pâle une tache d’un rouge profond qui ressemblait à une blessure.
Teresa se détourna. Elle qui ne s’était jamais inquiétée de son apparence venait d’interroger le miroir avec l’anxiété d’une très jeune fille. Il était bien temps ! Et d’où tirait-elle que sa bonne mine, dans la partie qui se jouait, partie engagée depuis des mois et presque à son insu, lui assurerait l’immunité ? D’ailleurs, pouvait-il être question, ce soir, d’un enjeu quelconque, victoire ou défaite, vie, mort, amour ? Ces mots, qu’elle avait agités, comme tant d’autres, pour se donner l’illusion d’un destin soumis à sa seule volonté, elle ne les comprenait plus. Tout finissait et commençait là, dans ce vestibule dépouillé de son ancienne splendeur, qui avait vu passer des ambassadeurs et des princes. Ceux-ci n’auraient su s’attarder aux reflets ni s’inquiéter des ombres, eux qui avaient planté leurs griffes et leurs crocs dans le corps pantelant de l’Europe pour s’en partager les dépouilles ! Comme elle, ils évoluaient entre des toiles peintes qu’au signal convenu un machiniste lèverait pour les remplacer par d’autres ; ils savaient leur rôle, en connaissaient d’avance les périls, sans pour autant cesser d’escompter succès et profit. Beaucoup étaient tombés, ou morts ; les autres s’accrochaient au pouvoir de toutes leurs forces. Leurs doigts ne se desserreraient pas avec leur trépas ; on trouverait, bien plus tard, leurs os profondément enfoncés dans les registres des lois et les secrètes comptabilités des trahisons.
Avec un soupir, Teresa reposa le chandelier. Allons ! Les masques étaient tombés : elle redevenait la petite paysanne qui courait pieds nus dans les champs et s’écorchait aux éteules. Relevant sa jupe à deux mains, elle s’avança vers l’escalier.
C’est alors qu’elle entendit les premières notes de musique.
 
ACTE I
 
I Lento lugubre
Vienne, mai 1825
— Savez-vous qu’on a dû le transporter de force à l’hôpital ? Le vieux grigou refusait de supporter la dépense ! Pourtant, Axur lui rapportait encore de bons tantièmes chaque année…
— Et le comte von Dietrichstein, l’intendant de la Musique de la Cour, lui avait garanti le maintien de son salaire malgré sa mise à la retraite.
— L’été dernier, n’est-ce pas ?
— Il n’était déjà plus en état de s’exprimer. Peut-être se croyait-il dans le besoin…
— Pensez-vous ! Salieri a toujours été avare. Ses filles ont passé la trentaine, mais il leur refusait la permission de se marier, pour ne pas avoir à verser de dot. Une telle avarice, cela dépasse l’entendement.
— L’homme qui marche en tête du cortège, est-ce lui ? Le comte von Dietrichstein ?
— Avec le personnel de la Chapelle Impériale au grand complet. Je peux vous les nommer presque tous : mon beau-frère est deuxième valet de pied au Palais, et…
Teresa ralentit et pressa le bras d’Ida von Sonnenfeld.
— Attendons un peu, voulez-vous ?
Ces voix, ces voix ! Elle ne les supportait pas. C’était physique, une nausée, une oppression presque intolérable. Elle toucha ses lèvres durement pincées, et si sèches qu’à l’abri de son mouchoir elle les humecta du bout de la langue. Inquiète, Ida s’empressa :
— Liebchen , vous êtes si pâle… Où ai-je mis vos sels ? J’aurais dû prévoir… L’émotion, la chaleur… Et ce flacon, où est-il passé ? J’étais sûre pourtant… Attendez, attendez…
Fébrile, elle allait s’agenouiller, vider aux pieds de Teresa le contenu du sac de tapisserie qu’elle traînait partout avec elle, un désordre de mouchoirs grands comme des serviettes de table et de boîtes de poudre de riz, des peignes, des jarretières de rechange, rubans, lacets, eau de senteur, boîtes à pilules de toute forme… Agacée, mais passive, la jeune femme laissait faire, suivait des yeux, en clignant, les deux bourgeois qui s’éloignaient, leurs chapeaux noirs s’inclinant l’un vers l’autre en un ballet grotesque et funèbre. Elle les voyait mal, mais devinait qu’ils se ressemblaient comme des frères, arborant même moustache raidie à la cire, même bedaine comprimée dans la redingote correcte et le gilet étriqué, mêmes lèvres grasses. Ils jubilaient, comprit-elle, d’avoir échappé pour cette fois au couperet de la Faucheuse, de fouler l’allée du cimetière sur les pas d

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