Lettres à Shakespeare
153 pages
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Lettres à Shakespeare , livre ebook

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Description

Qu’en est-il aujourd’hui de Shakespeare, de sa place dans l’imaginaire et la création ?


Nous avons demandé aux écrivains qui entretiennent avec son œuvre un fort engagement personnel de fêter ici le 450e anniversaire de sa naissance en s’adressant directement à lui, pour lui exprimer ce qu'ils lui doivent, lui reprochent, lui envient...


Cette correspondance collective, tour à tour jubilatoire, savante, intime, légère, violente, s’ouvre sur l’histoire mouvementée de cette passion française et se clôt par un retour inattendu, où il apparaît que le fantôme du père de Hamlet n'est pas près de cesser de hanter notre temps.


Dominique Goy-Blanquet est angliciste, professeur d'université, présidente de la Société Française Shakespeare.


Auteurs : Michèle Audin, Georges Banu, Pierre Bergounioux, Yves Bonnefoy, Hélène Cixous, Jacques Darras, David di Nota, Florence Dupont,Michael Edwards, Robert Ellrodt, Raphaël Enthoven, Jacques Jouet, Michèle Le Doeuff, Alberto Manguel, François Ost, Pierre Pachet.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782362800498
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LETTRES À SHAKESPEARE
réunies par Dominique Goy-Blanquet
Michèle Audin
Georges Banu
Pierre Bergounioux
Yves Bonnefoy
Hélène Cixous
Jacques Darras
David di Nota
Florence Dupont
Michael Edwards
Robert Ellrodt
Raphaël Enthoven
Jacques Jouet
Michèle Le Dœuff
Alberto Manguel
François Ost
Pierre Pachet






 
© 2014 Éditions Thierry Marchaisse

Conception visuelle : Denis Couchaux
Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen
Couverture et pictogramme d’après le visuel « Shakespeare 450 »

Éditions Thierry Marchaisse
221 rue Diderot
94300 Vincennes
http ://www.editions-marchaisse.fr

Diffusion-Distribution : Harmonia Mundi

ISBN (ePub) : 978-2-36280-049-8
ISBN (papier) : 978-2-36280-048-1



PROLOGUE



Nous sommes tous des happy few
Tout commence par un coup de foudre. On peut dater avec précision le début de la passion française pour Shakespeare, celui d’un retournement spectaculaire : septembre 1827. Cinq ans auparavant, l’Empereur était mort depuis peu, une troupe anglaise venue donner Othello au théâtre de la Porte Saint-Martin a été accueillie par une foule hostile de jeunes libéraux qui hurlaient « À bas Shakespeare, c’est un aide de camp du duc de Wellington ! » et sifflaient si fort qu’on n’a pu entendre un mot de la pièce, raconte Stendhal 1 . Indigné, il rédige un Racine et Shakespeare où il fustige les philistins incapables d’apprécier une œuvre hors norme et hors cadre des unités françaises – « Je m’adresse sans crainte à cette jeunesse égarée qui a cru faire du patriotisme et de l’honneur national en sifflant Shakespeare parce qu’il fut Anglais 2  » – et réserve quant à lui ses propres œuvres aux «  happy few  » qui sauront le comprendre.
Ce jour de septembre, Alexandre Dumas quitte son bureau de bonne heure pour rejoindre les happy few devant l’Odéon où une autre troupe anglaise conduite par l’illustre Charles Kemble et Harriet Smithson va jouer Hamlet . Stendhal cette fois est en Italie, mais dans la salle, Dumas retrouve Victor Hugo, Delacroix, Vigny, Nodier, Berlioz, Théophile Gautier… Hugo a vingt-cinq ans et il est encore royaliste – c’est d’ailleurs pendant la cérémonie du sacre de Charles X que son ami Charles Nodier lui a glissé dans la main un exemplaire de Shakespeare 3 . À l’Odéon tout Paris s’éprend pêle-mêle d’Ophélie, Harriet, Hamlet. « Shakespeare, en tombant sur moi à l’improviste, me foudroya, écrit Berlioz. Son éclair, en m’ouvrant le ciel de l’art avec un fracas sublime, m’en illumina les plus lointaines profondeurs. » L’hamletisme et l’anglomanie s’emparent de la France. On n’avait pas le choix à l’époque, explique Théodore de Banville, il n’y avait que deux clans dans la poésie, la littérature et les arts : « d’une part les romantiques, et de l’autre, les imbéciles », jusqu’à ce que dans la bouche de révolutionnaires ingénus, le mot romantique signifie : « homme qui connaît Shakespeare et avoue qu’il le connaît ». Ainsi « pour voir les choses dans leur réalité et sans nul déguisement, la querelle est restreinte entre ces modernistes et Shakespeare ». Et Banville de pointer où commence l’hamletisme : « Toutes les récentes névroses compliquées, musicales, idéalement torturées par la soif de l’exquis quintessencié, qui se croient si modernes, et le sont, viennent en droite ligne d’Elseneur. » Des Esseintes ne peut arracher de son souvenir « la navrante chanson et la chère démence d’Ophélie 4  ». Shakespeare le modéré, conservateur par raison ou résignation, est promu champion de toutes les révoltes, qu’elles soient formelles ou politiques.
Pour la création du More de Venise , 24 octobre 1829, les deux camps sont sur le pied de guerre : « Cette future représentation d’ Othello faisait grand bruit. Nous connaissions tous la traduction de de Vigny, et, quoique nous eussions mieux aimé être soutenus par des troupes nationales, et par un général français, que par ce poétique condottiere, nous comprenions qu’il fallait accepter toutes les armes qu’on nous apportait contre nos ennemis, du moment surtout où ces armes sortaient de l’arsenal de notre grand maître à tous – Shakespeare 5 . » Hugo qui a accepté de faire passer Le More sur la scène du Français avant son Hernani , l’a soutenu par des « applaudissements frénétiques », écrira-t-il plus tard à Sainte-Beuve, en se plaignant de l’ingratitude de Vigny 6 . Stendhal avait vu juste quant à l’enjeu des combats : aux dires de Dumas, d’après un journal de l’époque, « On arrivait à la représentation du More de Venise comme à une bataille dont le succès devait décider d’une grande question littéraire. Il s’agissait de savoir si Shakespeare, Schiller et Goethe allaient chasser de la scène française Corneille, Racine et Voltaire. » À quoi il riposte, « Laissez-nous aspirer aux mêmes droits que vous, si nous avons des titres à ces droits. L’Olympe païen était assez grand pour six mille dieux ; pressez-vous un peu, dieux de la vieille France, et laissez entrer les dieux scandinaves et germains. La religion de Molière, de Corneille et de Racine sera toujours la religion de l’État ; mais que la liberté des cultes soit proclamée 7  ! »
Ces fervents admirateurs de Shakespeare n’ont parfois qu’un accès limité à sa langue. Delacroix espère qu’avec quelques leçons «  I will better speak and write in that fair tongue, in which I am so desiderous to be readily instructed 8  ». Flaubert, très désidéreux lui aussi de s’instruire pour accéder à l’œuvre sans truchement, se met au travail : « Je fais, tous les jours, deux heures de grec et je commence à labourer mon Shakespeare assez droit. Dans deux ou trois mois je le lirai presque couramment 9 . » Mais les autres ? Avant la venue des comédiens anglais à l’Odéon, « M. Guizot, qui ne savait pas un mot d’anglais, à cette époque – et qui l’a trop bien su depuis ! –, avait retraduit Shakespeare à l’aide de Letourneur », écrit Dumas, qui se souvient ailleurs que « Vers ce temps, les acteurs anglais arrivèrent à Paris. Je n’avais jamais lu une seule pièce du théâtre étranger. Ils annoncèrent Hamlet . Je ne connaissais que celui de Ducis 10 . » Et Hugo, a-t-il progressé depuis sa première lecture de King John au soir du sacre, chez l’ambassadeur Northumberland ? Un billet de félicitations adressé à son fils permet d’en douter : «  Splendid traduction , voilà, mon Victor, ce que vient de me dire de ta traduction un visiteur anglais enthousiaste de ton monument élevé à son poëte 11 . » Comme la plupart de ses amis, il devait être auparavant tributaire des versions françaises, sans doute celle de ce Monsieur Guizot si honni, dont il exploitera sans vergogne et sans le citer l’ Étude sur Shakespeare de 1821 dans son propre essai.
Tel le flambeau olympique, la flamme amoureuse se propage. Delacroix transmet sa fièvre à Baudelaire. Le jeune Mallarmé est « tout entêté » du parfum des Fleurs du mal , dont il « se délecte dans une atmosphère de pourriture 12  », « Shakespeare et Egar Poe sont ses dieux, et ses dieux le conduisent à M. Charles Beaudelaire 13  ». Laforgue, disciple de Baudelaire et Mallarmé, visite Elseneur et au retour de cette « pauvre anse stagnante » compose le monologue intérieur du prince délirant, parodie du mal du siècle 14 . Claudel assiste silencieux aux réunions de la rue de Rome 15 avant de renier son admiration juvénile pour Mallarmé, « l’admiration d’un rustre, d’un homme ignorant et maladroit en face d’un prodigieux virtuose », et dénoncer dans La Catastrophe d’Igitur « la complaisance du malheur, l’amère communion avec les ténèbres et cette infortune d’être un homme 16  ». Jacques Copeau ouvre les portes du Vieux-Colombier. À Claudel et à Shakespeare. ...

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