Revue internationale de droit comparé - Année 2007 - Volume 59 - Numéro 1 - Pages 157-176 The direct applicability of the treaties rests, in France as in the United States, on two principal criteria which are analyzed by the judges. The treaty must be self-executing and create a individual enforceable right. Therefore, direct applicability runs up sometimes against the (contestable) requirement of a private right of action, that one has great difficulty to identify in the treaty itself. If the criteria are similar, the methods of interpretation of the French and American judges diverge. Direct applicability is thus better aknowleged in France than in the United States, where the judges show an unquestionable legal nationalism by setting up each criterion as an obstacle impossible to circumvent to their invocability. L’applicabilité directe des traités repose, en France comme aux États-Unis, sur deux critères principaux qui seront analysés par les juges. Pour être invocable, la norme doit se suffire à elle-même et créer un droit subjectif pour l’individu. Cependant, l’applicabilité directe se heurte parfois à l’exigence (contestable) d’un droit individuel d’action procédural, que l’on a bien du mal à identifier dans la norme internationale elle-même, et qui peut sembler étranger à la problématique. Si les critères sont similaires, les méthodes d’interprétation des juges français et américains divergent. L’applicabilité directe est ainsi mieux reconnue en France qu’aux États-Unis, où les juges font preuve d’un nationalisme juridique certain en érigeant chacun des critères en obstacle incontournable à l’invocabilité des traités. 20 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
LES CRITÈRES DE LAPPLICABILITÉ DIRECTE DES TRAITÉS INTERNATIONAUX AUX ÉTATS-UNIS ET EN FRANCE Bérangère TAXIL ∗ Lapplicabilité directe des traités repose, en France comme aux États-Unis, sur deux critères principaux qui seront analysés par les juges. Pour être invocable, la norme doit se suffire à elle-même et créer un droit subjectif pour lindividu. Cependant, lapplicabilité directe se heurte parfois à lexigence (contestable) dun droit individuel daction procédural, que lon a bien du mal à identifier dans la norme internationale elle-même, et qui peut sembler étranger à la problématique. Si les critères sont similaires, les méthodes dinterprétation des juges français et américains divergent. Lapplicabilité directe est ainsi mieux reconnue en France quaux États-Unis, où les juges font preuve dun nationalisme juridique certain en érigeant chacun des critères en obstacle incontournable à linvocabilité des traités. The direct applicability of the treaties rests, in France as in the United States, on two principal criteria which are analyzed by the judges. The treaty must be self-executing and create a individual enforceable right. Therefore, direct applicability runs up sometimes against the (contestable) requirement of a private right of action, that one has great difficulty to identify in the treaty itself. If the criteria are similar, the methods of interpretation of the French and American judges diverge. Direct applicability is thus better aknowleged in France than in the United States, where the judges show an unquestionable legal nationalism by setting up each criterion as an obstacle impossible to circumvent to their invocability. La Constitution américaine impose au juge le respect des normes conventionnelles internationales, laissant entendre que celles-ci peuvent être ∗ Docteur en droit public de lUniversité de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Maître de conférences en droit public à lUniversité de la Rochelle.
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applicables directement aux individus. Cest pourtant loin dêtre le cas. La place du droit international dans lordre juridique américain pourrait schématiquement, être présentée ainsi : à lesprit moniste de la loi fondamentale de 1787, a priori favorable à une applicabilité directe des normes internationales, soppose la pratique dualiste de lensemble des autorités américaines, pouvoirs politiques comme juridictions fédérales ou fédérées 1 . De ce fait, les États-Unis sont souvent perçus comme peu respectueux du droit international, critique qui connaît un regain brûlant dactualité, dans deux domaines impliquant des traités. Cest dabord la pratique policière américaine darrestation de nationaux étrangers qui est remise en cause, par un contentieux national et international abondant : la Cour Internationale de Justice, en 2001 puis en 2004, a considéré que labsence dinformation de ces ressortissants de leur droit au contact avec leurs autorités consulaires violait larticle 36 de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires 2 . Or, en 1998, la Cour Suprême avait refusé dappliquer directement cette disposition conventionnelle à des requérants condamnés à mort, faisant primer une loi postérieure dite de la « carence procédurale » 3 . Depuis les décisions de la Cour internationale, une jurisprudence aussi abondante que cacophonique sen est suivie au sein des juridictions nationales, à laquelle la Cour suprême a semblé mettre un terme le 28 juin 2006. Elle contredit une fois encore très nettement la jurisprudence internationale, sans pour autant répondre clairement à la question fondamentale posée : le traité est-il dapplicabilité
1 V. A. PEYRO, « La place du droit international dans la jurisprudence récente de la Cour suprême des États-Unis », RGDIP 2005, p. 609 et s. En France, le système est moniste : larticle 55 de la Constitution prévoit une application quasi-automatique du traité, après ratification et publication, ainsi que sa primauté sur la loi. Aux États-Unis, la situation nest simple quen apparence : larticle 6.2 de la Constitution pose un principe moniste de validité du droit international. Il dispose que « la présente Constitution, et les lois des États-Unis qui seront prises pour son application, et tous les traités conclus, ou qui seront conclus, sous lautorité des États-Unis, seront la loi suprême du pays , et les juges de chaque État seront liés par eux, nonobstant toute disposition contraire des Constitutions ou lois de lun quelconque des États ». Appelée fréquemment « clause de suprématie », elle nen est pas totalement une : elle confère certes au traité une valeur supérieure au droit des États fédérés, mais équivalente aux lois fédérales, ce qui implique lapplication du principe lex posterior derogat priori, comme le fit la Cour Suprême dans laffaire Breard v. Greene en 1998. Pour un point de vue très critique de la doctrine américaine elle-même, v. D. F. VAGTS, « The United States and its Treaties : observance and breaches », AJIL 2001-2, vol. 95, p. 313. 2 CIJ, LaGrand , Allemagne c/ États-Unis , 27 juin 2001. V. chr. H. RUIZ FABRI et J. M. SOREL, JDI 2001, pp. 843-858, et chr. P. WECKEL, RGDIP 2001, p. 763. CIJ, Avena et autres ressortissants mexicains , Mexique c/ États-Unis , 31 mars 2004. V. chr. P. WECKEL, RGDIP 2004-3, pp. 731-742. 3 Cour Suprême, Breard v. Greene , 14 avr. 1998, 118 S.Ct 1332.