Mattea
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Mattea

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The Project Gutenberg EBook of Mattea, by George SandThis eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg License includedwith this eBook or online at www.gutenberg.netTitle: MatteaAuthor: George SandRelease Date: July 9, 2004 [EBook #12865]Language: FrenchCharacter set encoding: ISO-8859-1*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MATTEA ***Produced by Renald Levesque and the Online Distributed ProofreadingTeam. This file was produced from images generously made availableby the Biblioth que nationale de France (BnF/Gallica) at �http://gallica.bnf.frMATTEA.George SandI.Le temps devenait de plus en plus mena ant, et l'eau, teinte d'une �couleur de mauvais augure que les matelots connaissent bien, commen ait �� battre violemment les quais et entre-choquer les gondoles amarr es � �aux degr s de marbre blanc de la Piazetta. Le couchant, barbouill� de �nuages, envoyait quelques lueurs d'un rouge vineux la fa ade du palais � �ducal, dont les d coupures l g res et les niches aigu s se dessinaient� � � �en aiguilles blanches sur un ciel couleur de plomb. Les m ts des navires �� l'ancre projetaient sur les dalles de la rive des ombres gr les et �gigantesques, qu'effa ait une une le passage des nu es sur la face � � �du soleil. Les pigeons de la r publique s'envolaient pouvant s, et se � � �mettaient l'abri sous le dais de ...

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The Project Gutenberg EBook of Mattea, by George Sand This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net
Title: Mattea Author: George Sand Release Date: July 9, 2004 [EBook #12865] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MATTEA ***
Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading Team. This file was produced from images generously made available by the Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr
MATTEA. George Sand
I.
Le temps devenait de plus en plus menaant, et l'eau, teinte d'une couleur de mauvais augure que les matelots connaissent bien, commenait battre violemment les quais etentre-choquer les gondoles amarres aux degrs de marbre blanc de la Piazetta. Le couchant, barbouillde nuages, envoyait quelques lueurs d'un rouge vineuxla faade du palais ducal, dont les dcoupures lgres et les niches aigus se dessinaient en aiguilles blanches sur un ciel couleur de plomb. Les mts des navires l'ancre projetaient sur les dalles de la rive des ombres grles et gigantesques, qu'effaait uneune le passage des nues sur la face du soleil. Les pigeons de la rpublique s'envolaientpouvants, et se mettaientl'abri sous le dais de marbre des vieilles statues, sur l'paule des saints et sur les genoux des madones. Le vent s'leva, fit claquer les banderoles du port, et vint s'attaquer aux boucles roides et rgulires de la perruque de ser Zacomo Spada, comme si c'ettla crinire mtallique du lion de Saint-Marc ou lescailles de bronze du crocodile de Saint-Thodore. Ser Zacomo Spada, le marchand de soieries, insensiblece tapage inconvenant, se promenait le long de la colonnade avec un air de proccupation majestueuse. De temps en temps il ouvrait sa large
tabatire d'caille blonde double d'or, et y plongeait ses doigts, qu'il flairait ensuite avec recueillement, bien que le malicieux sirocco et depuis longtemps mlles tourbillons de son tabac d'Espagneceux de la poudre enleveson chef vnrable. Enfin, quelques larges gouttes de pluie se faisant sentirses bas de soie, et un couptravers de vent ayant fait voler son chapeau et rabattu sur son visage la partie postrieure de son manteau, il commenas'apercevoir de l'approche d'une de ces bourrasques qui arriventl'improviste sur Venise au milieu des plus sereines journes d't, et qui font en moins de cinq minutes un si terrible dgt de vitres, de chemines, de chapeaux et de perruques. Ser Zacomo Spada, s'tant dbarrassnon sans peine des plis du camelot noir que le vent plaquait sur son visage, se mitcourir aprs son chapeau aussi vite que purent lui permettre sa gravitsexagnaire et les nombreux embarras qu'il rencontrait sur son chemin: ici un brave bourgeois qui, ayant eut la malheureuse ide d'ouvrir son parapluie et s'apercevant bien vite que rien n'tait moinspropos, faisait de furieux efforts pour le refermer et s'en allait avec luireculons vers le canal; lune vertueuse matrone occupecontenir l'insolence de l'orage engouffrdans ses jupes; plus loin un groupe de bateliers empresss de dlier leurs barques et d'aller les mettrel'abri sous le pont le plus voisin; ailleurs un marchand de gteaux de mas courant aprs sa vile marchandise ni plus ni moins que ser Zacomo aprs son excellent couvre-chef. Aprs bien des peines, le digne marchand de soieries parvintl'angle de la colonnade du palais ducal, ole fugitif s'tait rfugi; mais au moment oil pliait un genou et allongeait un bras pour s'en emparer, le maudit chapeau repartit sur l'aile vagabonde du sirocco, et prit son vol le long de la rive des Esclavons, ctoyant le canal avec beaucoup de grce et d'adresse. Le marchand de soieries fit un gros soupir, croisa un instant les bras sur sa poitrine d'un air constern, puis s'apprta courageusementpoursuivre sa course, tenant d'une main sa perruque pour l'empcher de suivre le mauvais exemple, de l'autre serrant les plis de son manteau, qui s'entortillait obstinment autour de ses jambes. Il parvint ainsi au pied du pont de la Paille, et il mettait de nouveau la main sur son tricorne, lorsque l'ingrat, faisant une nouvelle gambade, traversa le petit canal des Prisons sans le secours d'aucun pont ni d'aucun bateau, et s'abattit comme une mouette sur l'autre rive.Au diable le chapeau! s'cria ser Zacomo dcourag; avant que je n'aie traversun pont, il aura franchi tous les canaux de la ville. En profite qui voudra! ...Un tempte de rires et de hues rpondit en glapissantl'exclamation de ser Zacomo. Il jeta autour de lui un regard courrouc, et se vit au milieu d'une troupe de polissons qui, sous leurs guenilles et avec leurs mines sales et effrontes, imitaient son attitude tragique et le froncement olympien de son sourcil.Canaille! s'cria le brave homme en riantdemi de leurs singeries et de sa propre msaventure, prenez garde que je ne saisisse l'un de vous par les oreilles et que je ne le lance avec mon chapeau au milieu des lagunes!En profrant cette menace, ser Zacomo voulut faire le moulinet avec sa canne; mais comme il levait le bras avec une noble fureur, ses jambes perdirent l'quilibre; iltait prs de la rive, et il abandonna le pavpour aller tomber ...
II.
Heureusement la gondole de la princesse Veneranda se trouvait l, arrte par un embarras de barques chioggiotes, et faisait de vains
efforts de rames pour les dpasser. Ser Zacomo, se voyant lanc, ne songea plus qu'tomber le plus dcemment possible, tout en se recommandantla Providence, laquelle, prenant sa dignitde pre de famille et de marchand de soieries en considration, daigna lui permettre d'aller s'abattre aux pieds de la princesse Veneranda, et de ne point chiffonner trop malhonntement le panier de cette illustre personne. Nanmoins la princesse, quitait fort nerveuse, jeta un grand cri d'effroi, et les polissons presss sur la rive applaudirent et trpignrent de joie. Il restrent ltant que leurs hues et leurs rires purent atteindre le malheureux Zacomo, que la gondole emportait trop lentementtravers la mle d'embarcations qui encombraient le canal. La princesse grecque Veneranda Gicatait une personne sur l'ge de laquelle les commentateurs flottaient irrsolus, du chiffre quarante au chiffre soixante. Elle avait la taille fort droite, bien prise dans un corps balein, d'une rigiditmajestueuse. Pour se ddommager de cette contrainte o, par amour de la tnuit, elle condamnait une partie de ses charmes; et pour paratre encore jeune et foltre, elle remuaittout propos les bras et la tte, de sorte qu'on ne pouvaittre assis prs d'elle sans recevoir au visagechaque instant sonventail ou ses plumes. Elletait d'ailleurs bonne, obligeante, gnreuse jusqu'la prodigalit, romanesque, superstitieuse, crdule et faible. Sa bourse avaittexploite par plus d'un charlatan, et son cortge avaittgrossi de plus d'un chevalier d'industrie. Mais sa vertutait sortie pure de ces dangers, grceune froideur excessive d'organisation que les purilits de la coquetterie avaient fait passerl'tat de maladie chronique. Ser Zacomo Spadatait sans contredit le plus riche et le plus estimable marchand de soieries qu'il y et dans Venise. C'tait un de ces vritables amphibies qui prfrent leurle de pierre au reste du monde, qu'ils n'ont jamais vu, et qui croiraient manquerl'amour et au respect qu'ils lui doivent s'ils cherchaientacqurir la moindre connaissance de ce qui existe au dj. Celui-ci se vantait de n'avoir jamais mis le pied en terre ferme, et de ne s'tre jamais assis dans un carrosse. Il possdait tous les secrets de son commerce, et savait au juste quellot de l'Archipel ou quel canton de la Calabrelevait les plus beaux mriers et filait les meilleures soies. Mais lse bornaient absolument ses notions sur l'histoire naturelle terrestre. Il ne connaissait de quadrupdes que les chiens et les chats, et n'avait vu de boeuf que couppar morceaux dans le bateau du boucher. Il avait des chevaux une ide fort incertaine, pour en avoir vu deux fois dans, sa viede 'certaines solennits o, pour divertir et surprendre le peuple, le snat avait permisdes troupes de bateleurs d'en amener quelques-uns sur le quai des Esclavons. Mais ilstaient si bizarrement et si pompeusement enharnachs, que ser Zacomo et beaucoup d'autres avaient pu penser que leurs crins,taient naturellement tresss et mls de fils d'or et d'argent. Quant aux touffes de plumes rouges et blanches dont on les avait couronns, iltait hors de doute qu'elles appartenaientleurs ttes, et ser Zacomo, en faisantsa famille la description du cheval, dclarait que cet ornement natureltait ce qu'il y avait de plus beau dans l'animal extraordinaire apportde la terre ferme. Il le rangeait d'ailleurs clans l'espce du boeuf, et encore aujourd'hui beaucoup de Vnitiens ne connaissent pas le cheval sous une autre dnomination que celle de boeuf sans cornes, _bue senxa corni . _ Ser Zacomotait mfiantl'excs quand il s'agissait de risquer un sequin dans une affaire, crdule comme un enfant et capable de se ruiner quand on savait s'emparer de son imagination, que l'oisivetavait rendue fort impressionnable; laborieux et actif, mais indiffrent toutes les jouissances que pouvaient lui procurer ses bnfices;
amoureux de l'or monnay , et dilettant en qu'il la  e_ e di musica_, bit voix fausse et battit toujours la mesurecontre-temps; doux, souple, et assez adroit pour rgner au moins sur son argent sans trop irriter une femme acaritre; pareil d'ailleurstous ces vrais types de sa patrie, qui participent au moins autant de la nature du polype que de celle de l'homme. Il y avait bien une trentaine d'annes que M. Spada fournissait des toffes et des rubansla toilette effrne de la princesse Gica; mais il se gardait bien de savoir le comptdes anscouls lorsqu'il avait l'honneur de causer avec elle, ce qui lui arrivait assez souvent, d'abord parce que la princesse se livrait volontiers avec lui au plaisir de babiller, le plus doux qu'une femme grecque connaisse; ensuite parce que Venise a eu en tout temps les moeurs faciles et familires qui n'appartiennent gure en France qu'aux petites villes, et que notre grand monde, plus collet-mont, appellerait du commrage de mauvais ton. Aprs s'tre fait expliquer l'accident qui avait lancM. Zacomoses pieds, la princesse Veneranda le fit donc asseoir sans faon auprs d'elle, et le fora, malgrses humbles excuses, d'accepter un abri sous le drap noir de sa gondole contre la pluie et le vent, qui faisaient rage, et qui autorisaient suffisamment un tte--tte entre un vieux marchand sexagnaire et une jeune princesse qui n'avait pas plus de cinquante-cinq ans. Vous viendrez avec moi jusqu'mon palais, lui avait-elle dit, et mes gondoliers vous conduiront jusqu': votre boutique.Et, chemin faisant, elle l'accablait de questions sur sa sant, sur ses affaires, sur sa femme, sur sa fille; questions pleines d'intrt, de bont, mais surtout de curiosit; car on sait que les dames de Venise, passant leurs jours dans l'oisivet, n'auraient absolument riendire le soirleurs amants ouleurs amis si elles ne s'taient fait le matin un petit recueil d'anecdotes plus ou moins puriles. Ser Spada, d'abord trs-honorde ces questions, y rpondit moins nettement, et se troubla lorsque la princesse entama le chapitre du prochain mariage de sa fille.Mattea, lui disait-elle pour l'encourager rpondre, est la plus belle personne du monde; vous deveztre bien heureux et bien fier d'avoir une si charmante enfant. Toute la ville en parle, et il n'est bruit que de son air noble et de ses manires distingues. Voyons, Spada, pourquoi ne me parlez-vous pas d'elle commel'ordinaire? Il me semble que vous avez quelque chagrin, et je gagerais que c'estpropos de Mattea; car, chaque fois que je prononce son nom, vous froncez le sourcil comme un homme qui souffre. Voyons, voyons; contez-moi cela. Je suis l'amie de votre petite famille; j'aime Mattea de tout mon coeur, c'est ma filleule; j'en suis fire. Je serais bien fche qu'elle ft pour vous un sujet de contrarit, et vous savez que j'ai droit de la morigner. Aurait-elle une amourette? refuserait-elle d'pouser son cousin Checo?M. Spada, dont toutes ces interrogations augmentaient terriblement la souffrance, essaya respectueusement de lesluder; mais Veneranda, ayant flairll'odeur d'un secret, s'acharnaitsa proie, et le bonhomme, quoique assez honteux de ce qu'il avaitdire, ayant une juste confiance en la bontde la princesse, et d'ailleurs aimantparler comme un Vnitien, c'est--dire presque autant qu'une Grecque, se rsolutconfesser le sujet de sa proccupation. Hlas! brillante Excellence (chiarissima); dit-il en prenant une prise de tabac imaginaire dans sa tabatire vide, c'est en effet ma fille qui cause le chagrin que je ne puis dissimuler. Votre seigneurie sait bien que Mattea est enge de songerautre chose qu'des poupes. --Sans doute, sans doute, elletantt cinq pieds de haut, rpondit
la princesse, la plus, belle taille qu'une femme puisse avoir; c'est prcisment ma taille. Cependant elle n'a pas plus de quatorze ans; c'est ce qui la rend un peu excusable; car, aprs tout, c'est encore un enfant incapable d'un raisonnement srieux: D'ailleurs le prcoce dveloppement de sa beautdoit ncessairement lui donner quelque impatience d'tre marie. --Hlas! reprit ser Zacomo, votre seigneurie sait combien ma fille est admire, non-seulement par tous ceux qui la connaissent, mais encore par tous ceux qui passent devant notre boutique. Elle sait que les plus lgants et les plus riches seigneurs s'arrtent des heures entires devant notre porte, feignant de causer entre eux ou d'attendre quelqu'un, pour jeter de frquents regards sur le comptoir oelle est assise auprs de sa mre. Plusieurs viennent marchander mestoffes pour avoir le plaisir de lui adresser quelques mots, et ceux qui ne sont point malappris achtent toujours quelque chose, ne ft-ce qu'une paire de bas de soie; c'est toujours cela. Dame Loredana, monpouse, qui certes est une femme alerte et vigilante, avaitlevcette pauvre enfant dans de si bons principes que jamais jusqu'ici on n'avait vu une fille si rserve, si discrte et si honnte; toute la ville en tmoignerait. --Certes, reprit la princesse, il est impossible d'avoir un maintien plus convenable que le sien, et j'entendais dire l'autre jour dans une soire que la Matteatait une des plus belles personnes de Venise, et que sa beaut tait rehausse par un certain air de noblesse et de fiertqui la distinguait de toutes sesgales et la faisait paratre comme une princesse au milieu d'un troupeau de soubrettes. --Cela est vrai, par le Christ, vrai! rpta ser Zacomo d'un ton mlancolique. C'est une fille qui n'a jamais perdu son tempss'attifer de colifichets, chose qui ne convient qu'aux dames de qualit; toujours propre et bien peigne ds le matin, et si tranquille, si raisonnable, qu'il n'y a pas un cheveu de drang son chignon dans toute une journe;conome, laborieuse, et douce comme une colombe, ne rpondant jamais pour se dispenser d'obir, silencieuse que c'est un miracle, tant fille de ma femme! enfin un diamant, un vrai trsor. Ce n'est pas la coquetterie qui l'a perdue; car elle ne faisait nulle attentionses admirateurs, pas plus aux honntes gens qui venaient acheter dans ma boutique qu'aux godelureaux qui en encombraient le seuil pour la regarder. Ce n'est pas non plus l'impatience d'tre marie; car elle sait qu'elle aMantoue un mari tout prt, qui n'attend qu'un mot pour venir lui faire sa cour. Eh bien! malgrtout cela, voilque du jour au lendemain, et sans avertir personne, elle s'est montla tte pour quelqu'un que je n'ose pas seulement nommer. --Pour qui? grand Dieu! s'cria Veneranda; est-ce le respect ou l'horreur qui glace ce nom sur vos lvres? est-ce de votre vilain bossu garon de boutique; est-ce du doge que votre fille estprise? --C'est pis que tout ce que Votre Excellence peut imaginer, rpondit ser Zacomo en s'essuyant le front: c'est d'un mcrant, c'est d'un idoltre, c'est du Turc Abul! --Qu'est-ce que cet Abul? demanda la princesse. --C'est, rpondit Zacomo, un riche fabricant de ces bellestoffes de soie de Perse, broches d'or et d'argent, que l'on faonnel'le de Scio, et que Votre Excellence aimetrouver dans mon magasin. --Un Turc! s'cria Veneranda; sainte madone! c'est en effet bien dplorable, et je n'y conois rien. Amoureuse d'un Turc,Spada! cela ne peut pastre; il y a l-dessous quelque mystre. Quantmoi, j'ai t, dans mon pays, poursuivie par l'amour des plus beaux et des plus
riches d'entre eux, et je n'ai jamais eu que de l'horreur pour, ces gens-l. Oh! c'est que je me suis recommandeDieu ds l'ge oma beautm'a mise en danger, et qu'il m'a toujours prserve; Mais sachez que tous les musulmans sont vous au diable, et qu'ils possdent tous des amulettes ou des philtres au moyen desquels beaucoup de chrtiennes renient le vrai Dieu pour se jeter dans leurs bras. Soyez sr de ce que je vous dis. --N'est-ce pas une chose inoue, un de ces malheurs qui ne peuvent arriver qu'moi? dit M. Spada. Une fille si belle et si honnte! --Sans doute, sans doute, reprit la princesse; il y a de quoi s'tonner et s'affliger. Mais, je vous le demande, comment a pu s'oprer un pareil sortilge? --Voilce qu'il m'est impossible de savoir. Seulement, s'il y a un charme jetsur ma fille, je crois pouvoir en accuser un infme serpent, appelTimothe, Grec esclavon, qui est au service de ce Turc, et qui vient souvent avec lui dans ma maison pour servir d'interprte entre lui et moi; car ces mahomtans ont une tte de fer, et depuis cinq ans qu'Abul vientVenise, il ne parle pas plus chrtien que le premier jour. Ce n'est donc pas par les oreilles qu'il a sduit ma fille; car il s'assied dans un coin et ne dit mot non plus qu'une pierre. Ce n'est pas par les yeux; car il ne fait pas plus attentionelle que s'il ne l'et pas encore aperue. Il faut donc en effet, comme Votre Excellence le remarque et comme je l'avais djpens, qu'il y ait une cause surnaturellecet amour-l; car de tous les hommes dont Mattea est entoure, ce damnest le dernier auquel une fille sage et prudente comme elle aurait dsonger. On dit que c'est un bel homme; quantmoi, il me semble fort laid avec ses grands yeux de chouette et sa longue barbe noire. --Mon cher monsieur, interrompit la princesse, il y a du sortilge l-dedans. Avez-vous surpris quelque intelligence entre votre fille et ce Grec Timothe? --Certainement. Il est si bavard qu'il parle mme avec _Tisb_, la chienne de ma femme, et il adresse, trs-souvent la parolema fille pour lui dire des riens, desneries qui la feraient biller dites par un autre, mais qu'elle accueille fort bien de la part de Timothe; c'est au point que nous avons cru d'abord qu'elletait amoureuse du Grec, et comme c'est un homme de rien, nous entions fchs. Hlas! ce qui lui arrive est bien pis! -Et comment savez-vous que c'est du Turc et non pas du Grec que votre -fille est amoureuse? --Parce qu'elle nous l'a dit elle-mme ce matin. Ma femme la voyant maigrir, devenir triste, indolente et distraite, avait pensque c'tait le dsir d'tre marie qui la tourmentait ainsi, et nous avions dcidque nous ferions venir son prtendu sans lui rien dire. Ce matin elle vint m'embrasser d'un air si chagrin et avec un visage si ple que je crus lui faire plaisir en lui annonant la prochaine arrive de Checo. Mais, au lieu de se rjouir, elle hocha la tte d'une manire qui fcha ma femme, laquelle, il faut l'avouer, est un peu emporte, et traite quelquefois sa fille trop svrement.Qu'est-cedire? lui demanda-t-elle; est-ce ainsi que l'on rpondson papa?--Je n'ai rien rpondu, dit la petite.--Vous avez fait pis, dit la mre, vous avez tmoigndu ddain pour la volontde vos parents.--Quelle volont? demanda Mattea.--La volontque vous receviez bien Checo, rpondit ma femme; car vous savez qu'il doittre votre mari; et je n'entends pas que vous le tourmentiez de mille caprices, comme font les petites personnes d'aujourd'hui, qui meurent d'envie de se marier, et qui, pour jouer les prcieuses, font perdre la tteun pauvre fiancpar des
fantaisies et des simagres de toute sorte; Depuis quelque temps vous tes devenue fort bizarre et fort insupportable, je vous en avertis,etc., etc. Votre Excellence peut imaginer tout ce que dit ma femme, elle a une si brave langue dans la bouche! Cela finit par impatienter la petite, qui lui dit d'un air trs-hautain:Apprenez que Checo ne sera jamais mon mari, parce que je le dteste, et parce que j'ai disposde mon coeur.Alors Loredana se mit dans une grande colre et lui fit mille menaces. Mais je la calmai en disant qu'il fallait savoir en faveur de qui notre fille avait, comme elle le disait, disposde son coeur; et je la pressai de nous le dire. J'employai la douceur pour la faire parler, mais ce fut inutile.C'est mon secret, disait-elle; je sais que je ne puis jamaispouser celui que j'aime, et j'y suis rsigne; mais je l'aimerai en silence, et je n'appartiendrai jamaisun autre.L-dessus, ma femme s'emporta de plus en plus, lui reprocha de s'trenamoure de ce petit aventurier de Timothe, le laquais d'un Turc, et elle lui dit tant de sottises que la colre fit plus que l'amiti, et que la malheureuse enfant s'cria en se levant et en parlant d'une voix ferme:Toutes vos menaces sont inutiles; j'aimerai celui que mon coeur a choisi, et puisque vous voulez savoir son nom, sachez-le: c'est Abul.L-dessus elle cacha son visage enflammdans ses deux mains, et fondit en larmes. Ma femme s'lana vers elle et lui donna un soufflet. --Elle eut tort! s'cria la princesse. --Sans doute, Excellence, elle eut tort. Aussi, quand je fus revenu de l'espce de stupeur ocette dclaration m'avait jet, j'allai prendre ma fille par la main, et, pour la soustraire au ressentiment de sa mre, je courus l'enfermer dans sa chambre, et je revins essayer de calmer la Loredana. Ce ne fut pas facile; enfin,force de la raisonner, j'obtins qu'elle laisserait l'enfant se dpiter et rougir de honte toute seule pendant quelques heures. Je me chargeai ensuite d'aller la rprimander, et de l'amener demander pardonsa mrel'heure du souper. Pour lui donner le temps de faire ses rflexions, je suis sorti, emportant la clef de sa chambre dans ma poche, et songeant moi-mmece que je pourrais lui dire de terrible et de convenable pour la frapper d'pouvante et la ramenerla raison. Malheureusement l'orage m'a surpris au milieu de ma mditation, et voici que je suis forcde retourner au logis sans avoir trouvle premier mot de mon discours paternel. J'ai bien encore trois heures avant le souper, mais Dieu sait si les questions, les exclamations et les lamentations de la Loredana me laisseront un quart d'heure de loisir pour me prparerla confrence. Ah! qu'on est malheureux, Excellence, d'tre pre de famille et d'avoir affairedes Turcs! --Rassurez-vous, mon digne monsieur, rpondit la princesse d'un air grave. Le mal n'est peut-tre pas aussi grand que vous l'imaginez. Peut-tre quelques exhortations douces de votre part suffiront-elles pour chasser l'influence du dmon. Je m'occuperai, quantmoi, de rciter des prires et de faire dire des messes. Et puis je parlerai; soyez sr que j'ai de l'influence sur la Mattea. S'il le faut, je l'emmneraila campagne. Venez me voir demain, et amenez-la avec vous. Cependant veillez bience qu'elle ne porte aucun bijou ni aucune toffe que ce Turc ait touche. Veillez aussice qu'il ne fasse pas devant elle des signes cabalistiques avec les doigts. Demandez-lui si elle n'a pas reu de lui quelque don; et si cela est arriv, exigez qu'elle vous le remette, et jetez-le au feu. A votre place, je ferais exorciser la chambre. On ne sait pas quel dmon peut s'entre empar. Allez, cher Spada, dpchez-vous, et surtout tenez-moi au courant de cette affaire. Je m'y intresse beaucoup.En parlant ainsi, la princesse, quitait arriveson palais, fit un salut gracieuxson protg, et s'lana, soutenue de ses deux gondoliers, sur les marches du pristyle. Ser Zacomo, assez frappde la
profondeur de ses ides et un peu soulagde son chagrin, remercia les gondoliers, car le tempstait djredevenu serein, et repritpied, par les ruestroites et anguleuses de l'intrieur, le chemin de sa boutique, situe sous les vieilles Procuraties.
III.
Enferme dans sa chambre, seule et pensive, la belle Mattea se promenait en silence, les bras croiss sur sa poitrine, dans une attitude de mutine rsolution, et la paupire humide d'une larme que la fiertne voulait point laisser tomber. Elle n'tait pourtant vue de personne; mais sans doute elle sentait, comme il arrive souvent aux enfants et aux femmes, que son courage tenaitun fil, et que la premire larme qui s'ouvrirait un passagetravers ses longs cils noirs entranerait un dluge difficilerprimer. Elle se contenait donc et se donnait en passant et en repassant devant sa glace des airs dgags, affectant une dmarche altire et s'ventant d'un largeventail de la Chinela mode de ce temps-l. Mattea, ainsi qu'on a pu le voir par la conversation de son pre avec la princesse,tait une fort belle crature,gs de quatorze ans seulement, mais djtrs-dveloppe et trs-convoite par tous les galants de Venise. Ser Zacomo ne la vantait point au delde ses mrites en dclarant que c'tait un vritable trsor, une fille sage, rserve, laborieuse, intelligente, etc., etc. Mattea possdait toutes ces qualits et d'autres encore que son pretait incapable d'apprcier, mais qui, dans la situation ole sort l'avait fait natre, devaient tre pour elle une source de maux trs-grands. Elletait doue d'une imagination vive, facileexalter, d'un coeur fier et gnreux et d'une grande force de caractre. Si ces facults eussenttbien diriges dans leur essor, Mattea ettla plus heureuse enfant du monde et M. Spada le plus heureux des pres; mais madame Loredana, avec son caractre violent, son humeurcre et querelleuse, son opinitretqui allait jusqu'la tyrannie, avait sinon gt, du moins irritcette belleme au point de la rendre orgueilleuse, obstine, et mme un peu farouche. Il y avait bien en elle un certain reflet du caractre absolu de sa mre, mais adouci par la bontet l'amour de la justice, qui est la base de toute belle organisation. Une intelligenceleve, qu'elle avait reue de Dieu seul, et la lecture furtive de quelques romans pendant les heures destines au sommeil, la rendaient trs-suprieure ses parents, quoiqu'elle ft trs-ignorante et plus simple peut-tre qu'une filleleve dans notre civilisation moderne ne l'estl'ge de huit ans. leve rudement quoique avec amour et sollicitude, rprimande et mme frappe dans son enfance pour les plus lgres inadvertances, Mattea avait conu pour sa mre un sentiment de crainte qui souvent touchaitl'aversion. Altire et dvore de rage en recevant ces corrections, elle s'tait habitueles subir dans un sombre silence, refusant hroquement de supplier son tyran, ou mme de paratre sensibleses outrages. La fureur de sa mretait double par cette rsistance, et quoique au fond elle aimt sa fille, elle l'avait si cruellement maltraite parfois que ser Zacomo avaittobligde l'arracher de ses mains. C'tait le seul courage dont il fut capable, car il ne la redoutait pas moins que Mattea, et de plus la faiblesse de son caractre le plaait sous la domination de cet esprit plus obstinet plus imptueux que le sien. En grandissant, Mattea avait appella prudence au secours de son oppression, et par frayeur, par aversion peut-tre, elle s'tait habitueune stricte obissance etune muette ponctualitdans sa lutte; mais la conviction qui enchane les coeurs s'loignait du sien chaque jour davantage. En elle-mme elle dtestait
son joug, et sa volontsecrte dmentaitchaque instant, non pas ses paroles (elle ne parlait jamais, pas mmeson pre, dont la faiblesse lui causait une sorte d'indignation), mais ses actions et sa contenance. Ce qui la rvoltait peut-tre le plus etjuste titre, c'tait que sa mre, au milieu de son despotisme, de ses violences et de ses injustices, se piqut d'une austre dvotion, et la contraignit aux plus troites pratiques du bigotisme. La pit, gnralement si douce, si tolrante et si gaie chez la nation vnitienne,tait dans le coeur de la Pimontaise Loredana un fanatisme insupportable que Mattea ne pouvait accepter. Aussi, tout en aimant la vertu, tout en adorant le Christ et en dvorantses pieds chaque jour bien des larmes amres, la pauvre enfant avait os, chose inoue dans ce temps et dans ce pays, se sparer intrieurement du dogmel'gard de plusieurs points arbitraires. Elle s'tait fait, sans beaucoup de rflexion et sans aucune controverse, une religion personnelle, pure, sincre, instinctive. Elle apprenait chaque jour cette religion de son choix, l'occasion amenant le prcepte, l'absurditdes arrts * les rvoltes du bon sens; et quand elle entendait sa mre damner impitoyablement tous les hrtiques, quelque vertueux qu'ils fussent, elle allait assez loin dans l'opinion contraire pour absoudre mme les infidles et les regarder comme ses frres. Mais elle ne disait point ses pensescetgard; car, quoique son extrme docilitapparente et ddsarmer pour toujours la mgre, celle-ci,la moindre marque d'inattention ou de lenteur dans l'accomplissement de ses volonts, lui infligeait des chtiments rservsl'enfance et dont l'me outre de l'adolescente Mattea ressentait vivement les profondes atteintes. Si bien que cent fois elle avait formle projet de s'enfuir de la maison paternelle, et ce projet et dj texcutsi elle avait pu compter sur un lieu de refuge; mais dans son ignorance absolue du monde, sans en connatre les vraiscueils, elle craignait de ne pouvoir trouver nulle part asile et protection. Elle ne connaissait en fait de femmes que sa mre et quelques volumineuses matrones de mme acabit, plus ou moins exerces aux criailleries conjugales, mais toutes aussi bornes, aussitroites dans leurs ides, aussi intolrantes dans ce qu'elles appelaient leurs principes moraux et religieux. Mattea croyait toutes les femmes semblablescelles-l, tous les hommes aussi incertains, aussi opprims, aussi peuclairs que son pre. Sa marraine, la princesse Gica, luitait douce et facile; mais l'absurditde son caractre n'offrait pas plus de garantie que celui d'un enfant. Elle ne savait oplacer son esprance, et songeaitse retirer dans quelque dsert pour y vivre de racines et de pleurs.--Si le monde est ainsi, se disait-elle dans ses vagues rveries, si les malheureux sont repousss partout, si celui que l'injustice rvolte doittre maudit et chasscomme un impie, ou chargde fers comme un fou dangereux, il faut que je meure ou que je cherche la Thbade. Alors elle pleurait et tombait dans de longues rflexions sur cette Thbade qu'elle ne se figurait gure plusloigne que Trieste ou Padoue, et qu'elle songeaitgagnerpied avec quelques sequins, fruit despargnes de toute sa vie. Toute autre qu'elle et song se sauver dans un couvent, refuge ordinaire, en ce temps-l, des filles coupables ou dsoles. Mais elle avait une invincible mfiance et une espce de haine pour tout ce qui portait un habit religieux. Son confesseur l'avait trahie dans de soi-disant bonnes intentions en discourant avec sa mre et de la confession reue et de la pnitence fructueuseimposer. Mattea le savait, et, force de retourner vers lui, elle avait eu la fermetde refuser et la pnitence et l'absolution. Menace par le confesseur, elle l'avait menac son tour d'aller se jeter aux pieds du patriarche et de lui tout dclarer. C'tait une menace qu'elle n'aurait point excute, car la pauvre opprime et craint de trouver dans le patriarche lui-mme un oppresseur plus puissant; mais elle avait russieffrayer le
prtre, et depuis ce temps le secret de sa confession avaittrespect. Mattea, s'imaginant que toute nonne ou prtrequi elle aurait recours, bien loin de prendre sa dfense, la livreraitsa mre et rendrait sa chane plus pesante, repoussait non-seulement l'ide d'implorer de telles gens, mais encore celle de fuir. Elle chassait vite ce projet dans la singulire crainte de le fairechouer entant force de s'en confesser, et, par une sorte de jsuitisme naturel auxmes fminines, elle se persuadait n'avoir eu que d'involontaires vellits de fuite, tandis qu'elle conservait solide et intacte dans je ne sais quel repli cachde son coeur la volontde partirla premire occasion. Elle et pu chercher dans les offres ou seulement dans les dsirs naissants de quelque adorateur une garantie de protection et de salut; mais Mattea, aussi chaste que songe, n'y avait jamais pens; il y avait dans les regards avides que sa beautattirait sur elle quelque chose d'insolent qui blessait son orgueil au lieu de le flatter, et qui l'augmentait dans un sens tout oppos la purile vanitdes jeunes filles. Elle n'tait occupe qu'se crer un maintien froid et ddaigneux quiloignt toute entreprise impertinente, et elle faisait si bien que nulle parole d'amour n'avait osarriver jusqu'son oreille, aucun billet jusqu'la poche de son tablier. Mais comme elle agissait ainsi par disposition naturelle et non par suite des leons emphatiques de sa mre, elle ne repoussait pas absolument l'espoir de trouver un coeur noble, une amitisolide et dsintresse, qui consenttla sauver sans rien exiger d'elle; car si elle ignorait bien des choses, elle en savait aussi beaucoup que les filles d'une condition mdiocre apprennent de trs-bonne heure. Le cousin Checotant stupide et insoutenable comme tous les maris tenus en rserve par la prvoyance des parents, Mattea s'tait jurde se prcipiter dans le Canalazzo plutt que d'pouser cet homme ridicule, et c'tait principalement pour se garantir de ses poursuites qu'elle avait dclarle matin mmesa mre, dans un effort dsespr, que son coeur appartenaitun autre. Mais cela n'tait pas vrai. Quelquefois peut-tre Mattea, laissant errer ses yeux sur le calme et beau visage du marchand turc, dont le regard ne la recherchait jamais et ne l'offensait point comme celui des autres hommes, avait-elle pensque cet homme,tranger aux lois et aux prjugs de son pays, et surtout renommentre tous les ngociants turcs pour sa noblesse et sa probit, pouvait la secourir. Maiscette ide rapide avait succdun raisonnable avertissement de son orgueil; Abul ne semblait nullementprouver pour elle amour, amitiou compassion. Il ne paraissait pas mme la voir la plupart du temps; et s'il lui adressait quelques regardstonns, c'tait de la singularitde son vtement europen, ou du bruit que faisaitson oreille la langue presque inconnue qu'elle parlait, qu'iltaitmerveill. Mattea s'tait rendu compte de tout cela; elle se disait sans humeur, sans dpit, sans chagrin, peut-tre seulement avec une surprise ingnue, qu'elle n'avait produit aucune impression sur Abul; puis elle ajoutait:Si quelque marchand turc d'une bonne et honnte figure, et d'une intacte rputation, comme Abul-Amet, m'offrait de m'pouser et de m'emmener dans son pays, j'accepterais sans rpugnance et sans scrupule; et quelque mdiocrement heureuse que je fusse, je ne pourrais manquer de l'tre plus qu'ici. C'tait ltout, en vrit. Ni le Turc Abul, ni le Grec Timothe ne lui avaient adressune parole qui donnt suiteces ides, et c'tait dans un moment d'exaspration singulire, dlirante, inexplicable, comme il en vient seulement aux jeunes filles, que Mattea, soit pour dsesprer sa mre, soit pour se persuaderelle-mme qu'elle avait une volontbien arrte, avait imaginde nommer le Turc plutt que le Grec, plutt que le premier Vnitien venu.
Cependant,peine cette parole fut-elle prononce,trange effet de la volontou de l'imagination dans les jeunes ttes! que Mattea chercha se pntrer de cet amour chimrique etse persuader que depuis plusieurs jours elle en avait ressenti les mystrieuses atteintes.--Non, se disait-elle, je n'ai point menti, je n'ai point avancau hasard une assertion folle. J'aimais sans le savoir; toutes mes penses, toutes mes esprances se reportaient vers lui. Au moment du pril, dans la crise dcisive du dsespoir, mon amour s'est rvlaux autres etmoi-mme; ce nom est sorti de mes lvres par l'effet d'une volontdivine, et, je le sens maintenant, Abul est ma vie et mon salut. En parlant ainsihaute voix dans sa chambre, exalte, belle comme un ange dans sa vive rougeur, Mattea se promenait avec agitation et faisait voltiger sonventail autour d'elle.
IV.
Timothetait un petit homme d'une figure agrable et fine, dont le regard un peu railleurtait temprpar l'habitude d'une prudente courtoisie. Il avait environ vingt-huit ans, et sortait d'une bonne famille de Grecs esclavons, ruine par les exactions du pouvoir ottoman. De bonne heure il avait couru le monde, cherchant un emploi, exerant tous ceux qui se prsentaientlui, sans morgue, sans timidit, ne s'inquitant pas, comme les hommes de nos jours, de savoir s'il avait _� �_ une vocation, une sp cialit quelconque, mais s'occupant avec constancerattacher son existence isolecelle de la foule. Nullement fanfaron, mais fort entreprenant, il abordait tous les moyens de faire fortune, mme les plustrangers aux moyens prcdemment tents par lui. En peu de temps il se rendait propre aux travaux que son nouvel tat exigeait; et lorsque son entreprise avortait, il en embrassait une autre aussitt. Pntrant, actif, passionncomme un joueur pour toutes les chances de la spculation, mais prudent, discret et tant soit peu fourbe, non pas jusqu'la dloyaut, mais bien jusqu'lmalice, il tait de ces hommes quichappenttous les dsastres avec ce mot: _ _ne parviennent p ursNous verrons bien! Ceux-l , s'ils as toujo l'apoge de la destine, se font du moins une place commode au milieu de l'encombrement des intrigues et des ambitions; et lorsqu'ils russissent monter jusqu'un poste brillant, on s'tonne de leur subite lvation, on les appelle les privilgis de la fortune. On ne sait pas par combien de revers patiemment supports, par combien de fatigantes preuves et d'audacieux efforts ils ont achetses faveurs. Timothe avait donc exerctourtour les fonctions de garon de caf, de glacier, de colporteur, de trafiquant de fourrures, de commis, d'aubergiste, d'empirique et de rgisseur, toujoursla suite ou dans les intrts de quelque musulman; car les Grecs de cettepoque, en quelque lieu qu'ils fussent, ne pouvaient s'affranchir de la domination turque, sous peine d'tre condamnsmort en remettant le pied sur le sol de leur patrie, et Timothe ne voulait point se fermer l'accs d'une contre dont il connaissait parfaitement tous les genres d'exploitation commerciale. Il avaittchargd'affaires de plusieurs trafiquants qui l'avaient envoyen Allemagne, en France, en Egypte, en Perse, en Sicile, en Moscovie et en Italie surtout, Venisetant alors l'entrept le plus considrable du commerce avec l'Orient. Dans ces divers voyages, Timothe avait appris incroyablement viteparler, sinon correctement, du moins facilement, les diverses langues des peuples qu'il avait visits. Le dialecte vnitientait un de ceux qu'il possdait le mieux, et le teinturier Abul-Amet, ngociant considrable, dont les ateliers taientCorfou l'avait pris depuis peu pour inspecteur de ses ouvriers, teneur de livres, truchement, etc. Il avait en lui une extrme
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